Photo de classe

 

Jean-Gabriel Périot adapte librement Didier Eribon et brosse le portrait de la classe ouvrière, mêlant archives et texte lu par Adèle Haenel.

Retour à Reims de Didier Eribon, paru en 2009, depuis devenu le livre d'une ou deux générations, est son livre de la transmission, de la pensée prise dans l'existence, celle qui se raconte à tout le monde. Jean-Gabriel Périot, « librement », l'adapte aujourd'hui en cherchant au récit-essai les appuis d'un discours-image, puisant dans la tradition du film d'archives, dit de montage, pour ranimer des vies d'époques. Périot (auteur d’Une jeunesse allemande, de ses précédents le plus proche de celui-ci, de Lumières d'été ou Nos défaites) prend des « fragments » du texte dont le choix, bien qu'il soit fidèle, pourra étonner lecteurs et lectrices ferventes. Contoumant l'autobiographie du « transfuge de classe », et ce qui concerne la sexualité, la sociologie du devenir pédé, le film détoure ce qui est de fait le double cœur du livre, sa part tranchante, la moins immédiatement célèbre : le portrait de la classe ouvrière, en particulier celui des femmes de sa famille, et l'analyse du vote Front national, surgissant des décombres d'une culture de classe, abandonnée, au tournant néolibéral, par le communisme de parti. Puisées dans les mémoires filmiques de la télévision documentaire française (dont les productions d'Éliane Victor), de la CGT, du PCF, et du cinéma direct (Rouch, Marker, Muel), les images parlent d'elles-mêmes et s'allient, de la façon la plus franche, aux passages lus par Adèle Haenel. Tombeau pour la conscience prolétaire, de quoi l'épilogue gilet jaune formule regain et avenir, et poème intersectionnel, ce Retour regarde en avant.

 

Luc Chessel
13 juillet 2021
Libération